La Ville de Marseille a-t-elle vu trop grand ? A-t-elle été trop gourmande envers les propriétaires marseillais que l’on dit « pas si riches que cela », selon le mot de leur avocat et désormais expert en taxes foncières, Me Jacques Gobert ? Et surtout va-t-elle devoir rembourser 50 millions d’euros aux propriétaires marseillais ? C’est en effet un petit séisme qui s’est produit devant le tribunal administratif de Marseille.
La juridiction examinait, mercredi 15 mars, les recours déposés par le conseiller municipal d’opposition (LR) Pierre Robin et plus de 230 propriétaires marseillais contre l’augmentation de la taxe foncière 2022. Or le rapporteur public a conclu à l’annulation de la délibérationdu 8 avril 2022, au terme de laquelle le conseil municipal de Marseille a approuvé le budget primitif et a fixé les taux des taxes foncières. Les élus n’auraient pas été destinataires, selon lui, de l’information suffisante de nature à leur permettre de voter en conscience, ce qui aurait faussé la démocratie.
Vitesse ou précipitation ?
La mairie a-t-elle confondu vitesse et précipitation ? Vitesse, au prétexte que les besoins de financement de la municipalité étaient urgentset nombreux, de l’accroissement de l’indice des fonctionnaires à la suppression de la taxe d’habitation, en passant par les exigences d’une trésorerie capricieuse ou l’augmentation du coût de l’énergie. Précipitation, si l’on en croit les adversaires de cette majoration marseillaise de 5,4 % sur les propriétés bâties qui, avec la majoration légale obligatoire, a abouti en 2022 à 17,4 % de hausse par rapport à 2021.
De 32 à 239 euros de hausse selon les foyers
« Une augmentation qui représente 22 années de hausse », cingle Me Jacques Gobert, qui fustige son caractère « absolument historique ».
De 32 à 239 euros de majoration, selon les foyers, sur la note d’automne réclamée comme chaque année par les services fiscaux.

Dans ses conclusions présentées le 15 mars en audience, le rapporteur public n’a pas ménagé la mairie de Marseille, qui aurait omis de préciser certaines informations sur le temps de travail des agents, les avantages en nature ou encore les programmes d’investissement de la municipalité. Du coup, les élus auraient été insuffisamment « éclairés », ce qui rendrait la procédure irrégulière.
Pour Auguste Lafon, président de l’Union nationale des propriétaires immobiliers des Bouches-du-Rhône et du Var, partie à l’instance, c’est assurément « un procès historique qui fait réagir tout le monde ». Pas étonné, glisse-t-il, que la chose « fasse le buzz ». Pour Pierre Robin, l’élu municipal qui, avec les propriétaires amers, a déposé le recours, « le budget a méconnu le principe de sincérité ». « L’impôt, c’est le coeur de la démocratie », martèle-t-il. « Cinq lignes dans un rapport pour une décision à 50 millions d’euros, c’est assez irrespectueux », lâche-t-il, forcément vipérin, pour une agglomération comme Marseille, « la deuxième ville de la cinquième puissance mondiale »…
« Un toit qui coûte de plus en plus cher »
Mes Jacques Gobert et Frédéric Ponsot, les avocats des propriétaires, dénoncent « un vide absolu ». Ils y voient une « dissimulation » et portent l’estocade : « On ne peut pas pratiquer une hausse aussi considérable en catimini. » « On a payé sur des bases illégales », insistent-ils, en citant le cas de ces retraités dont « le toit coûte de plus en plus cher ».

Face à eux, la mairie de Marseille, représentée par Me Jorge Mendes Constante, tente de parer les coups. Elle nie toute démarche de dissimulation. « Une insuffisance d’information n’est pas une irrégularité grave », fait-elle observer.
Comment rectifier ?
Reste la question de la réparation. Si, dans trois semaines, date annoncée du probable délibéré, le tribunal administratif de Marseille annule les délibérations du 8 avril 2022, la taxe foncière n’existera plus. Elle n’aura plus la moindre base légale. Comment rectifier ? Ne rêvons pas. Il y a peu de chances que le contribuable marseillais soit remboursé du trop-perçu par les services fiscaux. Pour sortir la tête haute, la mairie a demandé hier « du temps ».
Du temps « pour moduler les effets du jugement ». Un temps qui pourrait courir « jusqu’au 31 décembre 2023 » et être, dès lors, mis à profit pour voter une nouvelle délibération qui fasse du passé table rase et permette d’oublier les incongruités à la marseillaise. Un temps qui permette surtout de voter une nouvelle contribution. Au terme de « remboursement », l’avocat de la municipalité préfère celui, plus politiquement correct, de « régularisation ».