Réduit au silence après un grave accident de circulation qui l’a laissé sur le flanc durant un trimestre cet automne, Patrick Amico est réapparu lors des Etats généraux du logement fin novembre. Encore affaibli, l’adjoint au logement de la ville de Marseille a assisté aux deux journées d’échanges aux côtés des acteurs de la chaîne de l’habitat et du ministre Olivier Klein, participant en coulisses à l’élaboration de la feuille de route articulée autour de 34 mesures censées remédier au mal-logement dans la deuxième ville du pays. En parallèle, cette ambition s’est déclinée de manière comptable dans l’affichage de l’objectif de produire chaque année 4 500 logements que la municipalité souhaite voir inscrit dans le Programme local de l’habitat métropolitain (PLH). Et elle s’est concrétisée récemment avec la publication des chiffres des logements autorisés dans Marseille en 2022 (3 400 logements collectifs), nettement supérieurs à ce que le microcosme immobilier craignait.
Remis sur pied, l’ancien dirigeant d’ICF Méditerranée est venu dans nos locaux dérouler sa feuille de route. Une stratégie renouvelée qui mêle pragmatisme pour répondre à l’urgence et changement de paradigme dans la planification urbaine. Un changement de braquet qui passe par une collaboration étroite avec la Métropole Aix-Marseille Provence dépositaire de la compétence habitat.
TPBM : Les Etats généraux du logement ont montré l’ampleur des retards marseillais en matière d’accès au logement. Au-delà des 34 mesures paraphées par le ministre du logement Olivier Klein, l’objectif de production annuel de 4 500 logements que vous souhaitez voir gravé dans le marbre du Programme local de l’habitat métropolitain (PLH) a marqué les esprits. Comment atteindre ce seuil alors qu’aux dires mêmes de Mathilde Chaboche, le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) ne le permet pas ?
Patrick Amico : C’était tout le débat qu’on a eu lors des Etats généraux du logement. Pour une fois depuis des lustres, on pose les choses dans l’ordre : on part des besoins pour établir la programmation et on finit par transcrire tout cela dans les documents d’urbanisme. Durant trop longtemps, on a fait de la construction à l’envers, avec un Plan local d’urbanisme (PLU) ancienne formule qui était à la remorque de la dynamique constructive. L’opportunisme était la règle. On a conscience de la complexité car le PLUI, comme le « i » l’indique, est intercommunal. Toute modification et a fortiori toute révision impliquent des discussions avec la Métropole et les maires des autres communes.
Mais on a des leviers que l’on peut actionner rapidement, comme les servitudes de mixité sociale : nous avions demandé que le seuil imposant 30 % de logements sociaux soit abaissé à toute opération d’au moins 30 logements et 2 000 mètres carrés. Dans la deuxième modification du PLUI votée l’an dernier, la Métropole a accepté une demi-mesure en abaissant ce seuil dans les seules zones de bonne desserte en transport collectif. Ce qui exclut 85 % du territoire communal. Lors des Etats généraux, la Métropole a indiqué qu’elle acceptait finalement d’étendre la mesure à l’ensemble de la ville dans la troisième modification du document qui est en cours d’élaboration.
En matière de logements sociaux, les résultats sont mitigés : avec 880 agréments délivrés en 2022, Marseille est loin des objectifs. Comment relancer la production ?
Ce résultat n’est malheureusement pas une surprise. On paie là l’inertie passée avec l’absence de servitude de mixité sociale. Relancer la machine prend du temps : celui de l’urbanisme. Mais notre ambition est claire : nous voulons produire 2 300 logements abordables chaque année, dont 1 500 logements sociaux neufs et 600 via des opérations d’acquisition-amélioration. Je sais que certains trouvent cela trop ambitieux… Je leur réponds : peut-on avoir un autre objectif quand vous recensez 40 000 demandes d’HLM en attente et 40 000 logements indignes ? Sans parler des milliers de ménages qui vivent à l’écart des statistiques officielles, soit dans la rue, soit dans des copropriétés dégradées aux mains des marchands de sommeil…
Face à cette crise sociale majeure, la question est autant « Que peut-on construire ? » que « Que doit-on construire ? ». Le préfet nous a d’ailleurs rappelé l’ampleur de l’enjeu l’an dernier. La pénurie d’offre de logements à prix modérés a généré un système qui fait son lit sur la misère. Cette dérive, qui développe une économie parallèle et son cortège de trafics, devient une crise sécuritaire.
Comment relever ce défi du rééquilibrage de l’offre quand l’Etat fixe l’objectif de Zéro artificialisation nette (ZAN) à l’horizon 2050 ?
L’ambition de la loi Climat et résilience est justifiée : on ne peut pas continuer à consommer l’espace à l’infini. Mais il existe un gisement de terrains que l’on peut désartificialiser : les cours d’école, les parkings des centres commerciaux… Tous ces espaces aujourd’hui complètement étanches peuvent être désimperméabilisés. On a commencé à le faire dans les cours des groupes scolaires.
Pour le reste, les leviers s’appellent densification et surélévation. Mais ne nous berçons pas d’illusions : la densification, c’est un potentiel de 1 000 logements par an sur toute la ville. Et 700 dans le centre. Même si c’est un peu en valeur absolue, c’est colossal compte tenu de ce que nous parvenons à réaliser aujourd’hui. Pourtant, c’est un débat que l’on doit ouvrir sans tabou : si on arrête d’étaler la ville, il faut densifier, boucher les dents creuses, surélever le bâti… Toutes les métropoles sont confrontées à ce défi. Le jeu est politiquement très compliqué car la pression sociale est forte. Mais nous n’avons pas le choix ! On doit donc adapter nos outils de programmation.
Pour cela, il faut que tout le monde ait conscience que le logement social, ce n’est pas 46 % d’HLM dans les 15e/16e arrondissements et 6 % dans les 8e/9e. La loi impose désormais un rééquilibrage territorial avec un minimum de 15 % de Logements locatifs sociaux (LLS) par arrondissement. Cela passera par la mise en place d’un contrat de mixité sociale communal intégrant des dispositifs de rattrapage par arrondissement. On a commencé à y réfléchir avec l’Etat en essayant d’identifier les gisements fonciers constructibles dans chaque secteur. On aura le résultat de cet inventaire cet été. Une fois que le PLH sera arrêté, on pourra procéder à la signature du contrat de mixité sociale à la fin de l’année. Sur ce point, nous sommes en phase avec le préfet.

Quatre ans et demi après le drame de la rue d’Aubagne, où en est le flux des relogements ?
Depuis novembre 2018, plus de 6 000 personnes ont dû être relogées car leur logement était frappé d’un arrêté de péril. On signe encore une trentaine d’arrêtés de péril chaque mois. Après l’énorme vague d’évacuations qui a suivi le 5 novembre, on reste sur un rythme régulier. Le ralentissement est très faible révélant l’ampleur du mal-logement dans la ville.
L’Etat a augmenté de manière significative le nombre de places dans les foyers. On doit anticiper les grands évènements, comme les Jeux olympiques et la Coupe du monde de rugby, qui vont mobiliser des chambres d’hôtel qui servent aujourd’hui de solutions d’hébergement transitoires pour les personnes délogées.
Où en est le plan d’éradication des copropriétés dégradées ?
On a longtemps regardé ailleurs. Quand il faut évacuer 200 à 300 ménages, on est face à une équation extrêmement compliquée. C’est un combat qui mobilise une pluralité d’intervenants : l’Etat, la Métropole, la Ville, l’Etablissement public foncier… Pour que cela fonctionne, on a besoin d’une stratégie collective. C’est l’un des engagements des Etats généraux du logement qui prévoit justement la mise en place d’une Orcod-IN (Opération de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national). Ce dispositif permet d’engager l’Etat dans ce chantier titanesque que les collectivités sont incapables de mener seules. Une mission ministérielle[pilotée par l’ancien directeur de la DDTM du Gard, André Horth, NDLR] rendra son rapport sur ce sujet à Olivier Klein fin mars. Elle devra esquisser des modèles de gouvernance et de financement de cet arsenal.
Cette boîte à outils viendra en complément du plan national « Initiative copropriétés » [ce plan concerne une quinzaine de copropriétés marseillaises, NDLR]. On s’oriente vers la création d’une pluralité d’outils : une ou plusieurs Orcod d’intérêt national pour les copropriétés les plus en souffrance, et des plans de sauvegarde pour éviter les graves dérives dans les sites qui présentent des signes de fragilité manifestes. Il faudra une stratégie différenciée avec des réponses adaptées à chaque contexte : Kallisté, Le Mail, Bel Horizon, le Parc Corot, Bellevue… Dans certains cas, il faudra un opérateur foncier pour reprendre en main les syndicats de copropriété ; dans d’autres, les aides de l’Agence nationale de l’habitat (Anah) et de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) pourront suffire… Mais quelle que soit la situation, on aura besoin d’un pilotage unique.
Reste à déterminer la forme de cette instance : Groupement d’intérêt public (GIP) ? Société publique locale d’aménagement (SPLA) ? Etablissement public d’aménagement (EPA) ? La question est sur la table. Seule certitude : il faudra une équipe dédiée et compétente avec une solide connaissance du droit et des arcanes des copropriétés dégradées.

L’Etat sera-t-il au rendez-vous des moyens ?
Le président de la République suit avec une extrême attention ce qui se passe à Marseille. Il met la pression pour que les chantiers du plan « Marseille en grand » aboutissent. Il connaît les 34 engagements des Etats généraux du logement. Encore une fois, la Ville seule avec ses outils n’y arrivera pas. Marseille Habitat comme les autres bailleurs sociaux n’a pas les moyens de s’engager sur toutes les copropriétés. Il faut un outil doté d’une force de frappe plus importante.
Les Etats généraux du logement ont débouché sur une trentaine de mesures. Quel en est le fil conducteur ?
Ces 34 engagements doivent servir de rotule entre la programmation et la mise en place des outils pour produire. Cette dynamique doit associer tous les acteurs : c’est le sens du Comité marseillais partenarial de l’habitat qui va regrouper les pouvoirs publics, les professionnels de la chaîne du logement et les associations représentatives. On se fixe l’obligation d’avancer de manière très opérationnelle et très transparente. La production doit être en phase avec la programmation que l’on se fixe collectivement. Cela passe par exemple par la mise en place des ateliers d’urbanisme ouverts aux élus de secteur, et d’autres représentants…
Cela permet de travailler en amont à la définition des projets avec les opérateurs et de déminer les points de tension. Sinon, on en arrive à des arbitrages politico-techniques qui suscitent l’incompréhension. Fabriquer une ville, c’est le compromis sans la compromission !
La Ville vient de dévoiler les chiffres des logements autorisés en 2022 sur son territoire : 3 400 logements collectifs. Ce bilan bat en brèche les prévisions alarmistes des professionnels de la construction ?
Il faut rappeler d’où l’on part. En 2020, on en était à 2 000 logements autorisés. L’an dernier, la proportion de logements sociaux dans les autorisations s’est élevée à 24 %, en hausse significative. Sur la période 2017-2019, le ratio de logements sociaux était seulement de 8 %. Et l’extension du seuil de mixité sociale à tout le territoire communal va encore augmenter la part de la production HLM.
Demain, avec le PLH, nous comptons produire 4 500 logements par an. Ce chiffre n’est pas une incantation. Avec les 34 engagements des Etats généraux, le mot d’ordre de notre action sera l’opérationnalité !