TPBM : Vous êtes à Marseille, pour participer aux Assises de votre fédération de Provence-Alpes-Côte d’Azur sur le thème de la transition écologique. Quel est le rapport entre travaux publics et transition écologique ?
Bruno Cavagné : La transition écologique ne se fera que si les infrastructures sont au rendez-vous. Les infrastructures sont construites par les entreprises de travaux publics. Il n'y aura pas de transition écologique sans l'investissement local. Avec plus de 50 % des émissions de CO2 liées à leur usage, les infrastructures sont en première ligne. La transition écologique ne pourra pas se faire sans investir massivement dans des infrastructures vertes et en assurant la conversion environnementale des infrastructures existantes. L’entretien de ces infrastructures est aussi important, notamment pour les canalisations, ce qui permet de limiter les fuites et de réaliser des économies d’eau. Il faut en faire la priorité d'actions pour garantir notre transformation écologique. Cela nécessite de la méthode et une vision stratégique, qui malheureusement fait défaut actuellement.
« Les travaux publics se donnent les moyens d’être au rendez-vous de la transition écologique »
A ce sujet, la Fédération nationale des Travaux Publics et le réseau des CERC (Cellules economiques régionales de la construction) publient le baromètre des infrastructures de la transition écologique interrégional. Quel est son rôle ?
Cet outil est déployé sur l’ensemble des CERC depuis trois ans. L’idée est de regarder ce qu’il se fait dans les régions et les métropoles pour challenger les uns et les autres en leur montrant qu’il y a plus de pistes cyclables dans telle région, plus de bornes de recharge pour véhicules électriques, ou plus d’entretien des réseaux d’eau dans telle autre…
Au sujet des bornes de recharge électrique, nous sommes très en retard en France. Si on veut inciter les automobilistes à rouler en électrique, il faut des infrastructures adaptées et donc des bornes sur les routes, en ville et dans les campagnes. Il y a un effort à faire. Mais qui dit bornes de recharge, dit énergie et qui dit énergie dit production d’énergie, comme le nucléaire… Tout est lié ! Ce baromètre sert donc à voir quelles sont les régions et les métropoles qui investissent dans la transition écologique et comment elles le font.
Quand on parle de grands travaux et de constructions d’autoroutes, il y a des oppositions. On le voit sur celle de Toulouse-Castres. Faut-il encore construire des routes ou des voies pour les transports en commun ?
Il faut faire attention aux minorités qui font du bruit et manifestent… Je pense aux évènements sur les chantiers de la voie Toulouse-Castres. Concernant les voies routières, ce ne sont pas les infrastructures qui émettent du CO2, mais les véhicules. On peut très bien avoir des routes et y faire rouler des véhicules électriques, des voitures, mais aussi des bus. De toute façon, on ne pourra pas se passer de route : dans les zones rurales, sans véhicule personnel, vous ne faites rien ! On n’obligera pas les gens à ne plus avoir de voiture. Tout n’est pas desservi par des transports en commun. Et les transports en commun ne répondent pas encore à toutes les attentes.
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Les infrastructures sont aussi soumises aux évolutions du changement climatique. Parfois brutales, comme dans les Alpes-Maritimes avec les inondations de la Vésubie et de la Roya. Comment les prendre en compte ?
Nous faisons également évoluer notre baromètre dans ce sens. On a pris une région pilote, la Normandie, un département pilote, la Corrèze et une communauté de commune, Châlons-en-Champagne. Avec l’aide de l’entreprise One Point, nous modélisons les changements climatiques sur la base du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) pour voir comment les changements climatiques jouent sur les infrastructures, routes, canalisations, ou autres… Sur certains secteurs on s’aperçoit que le trait de côte bouge et qu’il faut décaler la route et les réseaux, par exemple… On regarde aussi l’imperméabilité des sols pour les inondations. Avec cet outil, on pourra voir comment les choses vont évoluer si on ne fait rien et comment on peut adapter nos infrastructures aux évolutions climatiques. On fera des préconisations. D’ici moins d’un an nous aurons les premiers résultats sur ces trois territoires tests. Comme nous ne voulons pas garder ces informations pour nous, nous allons les mettre en "open data" et étendre cet outil au reste des régions françaises. Nous allons modéliser ces données par région et par collectivités et les mettre en accès libre. Les acteurs des territoires pourront les utiliser afin de prendre des décisions concrètes sur l’entretien, l’évolution ou la construction d’infrastructures adaptées.
Ce travail que fait la Fédération nationale des Travaux Publics et les CERC c’est presque le travail que devrait faire un organisme d’état ?
Pendant les 10 ans de mon mandat, j’ai appris que si on n’est pas moteur, si on ne pousse pas les choses, rien ne se passe… J’exagère peut-être un peu ! Nous avons besoin d’élus moteurs qui portent des projets. Depuis quelques années, j’observe qu’il y a une prise de conscience de ces questions en lien avec la transition écologique et environnementale. Il n’y a pas une collectivité aujourd’hui qui ne parle pas de ces sujets et qui veut faire des choses. La problématique, au-delà du financement qui reste un vrai sujet, c’est la feuille de route. Quand on veut faire des choses dans ce domaine, on se heurte à des limites technologiques. Des choses qui ne sont pas déployées… Un exemple : certaines de nos entreprises utilisent des pelles électriques. Mais sur certains secteurs, comme en campagne, impossible de les recharger. On se heurte à la limite du système. Même exemple sur l’hydrogène : quel hydrogène, comment ?
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Il manque quoi pour y arriver ?
Il y a une volonté de faire, mais on se trouve à une bascule : il manque des moyens techniques déployés à une plus grande échelle. Et puis qui payent ces nouveaux équipements pour les entreprises ? Les clients, publics et privés, commencent à demander de tels équipements, mais sans forcément prendre en charge ces surcoûts. Concernant les financements, il y a un sujet également. Quand vous regardez les annonces faites ces derniers temps par le Gouvernement, il manque des financements... On ne pourra pas financer la transition écologique sans une réflexion sur la sortie du pacte de stabilité, sur les investissements liés à ce sujet ou la création de nouvelles taxes sur le sujet. Je sais qu’il y a un seuil d’acceptation et de la pédagogie à faire. Que veut-on ? Il faut fixer un cap clair et ambitieux. J’ai dit à Elisabeth Borne qu’il manquait un tableau global qui présenterait le plan dans son ensemble, avec les ambitions, le planning et les moyens à mettre en œuvre. Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, m’a dit que nous aurions ce plan. Tant que nous n’avons pas un tel document nous n’arrivons pas à expliquer aux français où on veut aller et comment on n’y arrivera pas.