Un plan de transformation des zones commerciales doté de 24 M€ a été dévoilé, le 11 septembre dernier, par le gouvernement. Un appel à manifestation d'intérêtva être lancé début octobre pour sélectionner une vingtaine de sites pilotes. L'ambition : à l’heure de la frugalité foncière, il faut métamorphoser ces enfilades de "boîtes à chaussures" et libérer du foncier pour créer de l'activité, des logements et des équipements publics...
La démarche promue par le plan gouvernemental devrait susciter l’intérêt des élus locaux vent debout contre les effets stérilisateurs du zéro artificialisation nette (ZAN). Et titiller les foncières propriétaires des murs de ces temples du commerce périurbain, vestiges du "voiturbanisme" triomphant. Alors que le modèle de l’hypermarché est concurrencé par le e-commerce et l’essor du négoce low cost, le spectre de l’émergence de friches commerciales n’est plus un fantasme brandi par les bobos tenants du bio et des circuits courts. Mais une menace fondée sur l’évolution des modes de vie, évolution accélérée par la crise de la Covid.
Pendant que les maires sont sommés de réfléchir à l’adaptation des documents d’urbanisme, rares sont les initiatives déployées pour imaginer un nouveau paradigme d’aménagement de ces zones que les urbanistes qualifiaient de « ville émergente ». A Marseille, un groupement de concepteurs phosphore depuis plusieurs mois sur les moyens d’engager la mutation de ces espaces qui, pour être les temples des chalands, sont aussi les cimetières de l’architecture. Et de l’urbanité libérée du consumérisme. Apôtres de ce renversement de table, une urbaniste et un architecte Céline Betito et Renaud Tarrazi ont lancé le collectif Chutt (Collectif d'hybridation urbaine des territoires de transition), démarche qui fait de l’hybridation urbaine la nouvelle boussole de la revitalisation des zones périphériques.
TPBM : Reconstruire la ville sur les zones commerciales, n’est-ce pas un brin utopique ?
Céline Betito : Pas vraiment si on regarde la crise du modèle de développement urbain actuel. Le logement traverse une dépression sévère qui frappe en même temps l’offre et la demande. L'activité de la promotion immobilière a reculé de 20 %. La raréfaction de l’offre tire les prix vers le haut pendant que la hausse des taux de crédit désolvabilise une partie des ménages. Cette crise intervient alors que les enjeux du réchauffement climatique nous imposent de modifier nos modes de vie. Le bâtiment représente un quart des émissions de CO2 de la planète. Selon le rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), notre empreinte carbone doit être divisée par trois d'ici 2050 si l’on ne veut pas vivre dans une cocotte minute. Cette menace a poussé le législateur à sonner la fin de la périurbanisation avec le ZAN, mesure phare de la loi climat et résilience qui entend stopper la consommation des terres agricoles et des espaces naturels à l’horizon 2050.
Cette frugalité foncière n’est pas une option : c’est un impératif si nous souhaitons continuer à vivre sans sacrifier les ressources. Après des décennies d’hypermobilité, il est donc temps de penser un modèle de "démobilité". Un modèle que d’aucuns qualifient de « ville du quart d’heure ». Cela passe par l’émergence de nouvelles approches en forme de défi : la sobriété foncière, faire avec le "déjà-là", la densité désirable, la verticalité douce, l’intensité urbaine. Autant de démarches qui coïncident justement avec la volonté de transformer les zones commerciales.
Imaginer que les ménages vont habiter dans des zones commerciales est un sacré défi. La plupart du temps, ces zones périurbaines se sont développées pour et par la voiture.
C.B. : il y a cinq ou même trois ans en arrière, évoquer cela aurait été un sacré défi : nous serions passés pour une bande d’utopistes ! Aujourd’hui, les injonctions contradictoires dans le domaine de la construction et plus récemment la volonté affirmée de l’Etat d’offrir un nouvel horizon à ces zones commerciales nous donnent une réelle légitimité.
Nos visions complémentaires et nos expériences diverses nous amènent aujourd'hui à proposer un concept innovant en rupture avec les vieux modèles qui misaient sur l’étalement urbain, l’automobilité, avec une inconscience du caractère limité des ressources naturelles. La résilience face au changement passe par l’émergence d’une nouvelle urbanité à même de répondre aux défis qui sont devant nous.
Renaud Tarrazi : Répondre aux objectifs du ZAN impose de composer avec l’existant : à cette aune, la surélévation du bâti est une solution évidente. Et son acceptabilité se pose avec moins de problème dans une zone commerciale. Les enjeux sont plus techniques et réglementaires que sociaux et économiques. Mieux, c’est un moyen de réintroduire de la mixité urbaine dans des espaces monofonctionnels qui proposent toutefois un certain nombre d’aménités urbaines. En promouvant la chronotopie, cette démarche qui permet d’accueillir une mixité d’usages en fonction des temporalités.
Construire de l’habitat au dessus de "boîtes" commerciales, c’est aussi l’occasion de concevoir des bâtis durables et réversibles tout en intégrant des schémas de mobilité douce. Enfin, c’est une manière de désimperméabiliser les immenses rubans de bitume des parkings qui jouxtent les commerces. On peut imaginer des parkings en ouvrage avec des usages mixtes comme cela se fait dans de nombreuses villes.
Quid des propriétaires fonciers de ces espaces ? Pour ces derniers, le commerce reste une rente extrêmement rentable...
C.B. : La dissociation de la propriété foncière et du bâti n’est pas un frein. Au contraire. Notre modèle s’appuie sur le "gagnant/gagnant" : il n’y a pas de volonté d’acheter la propriété bâtie mais uniquement le potentiel constructif supplémentaire. C’est tout le sens de notre démarche. L’hybridation urbaine repose sur la dissociation de la propriété foncière et de la propriété bâtie tout en offrant l’opportunité de revaloriser le bâti commercial. Car sa surélévation sera l’occasion de lui donner un coup de jeune. Et in fine, de booster sa force d’attraction auprès des clients qui pourront venir à pied ou en modes doux. Ce gain rejaillira sur les loyers.
Le code l’urbanisme est-il prêt à accepter ce mélange des genres ?
R.T. : À ce jour le code l’urbanisme ne le permet pas. Mais nos rencontres avec les élus montrent un réel intérêt pour cette forme de mixité urbaine.
La volonté affichée de l’Etat sur la transformation de ces zones qualifiées de "moches" avec la mise en place d’outils réels et opérationnels ainsi que la mise à disposition d’une enveloppe de 24 millions d’euros à destination de vingt sites pilotes ouvre la voie sur une autre façon de concevoir les règles de l’urbanisme.
Le plan du gouvernement envisage une vingtaine de sites pilotes. Quels sites se prêteraient à une telle démarche dans la région Paca ?
C.B. :On pense évidemment à Plan de Campagne, entre Aix-en-Provence et Marseille. Mais toutes les zones commerciales peuvent être concernées par une démarche d’hybridation.
Nous sommes en pourparlers avec des élus dont les villes pourraient être concernées par une démarche d’hybridation urbaine. En parallèle, nous finalisons des partenariats d’exclusivité avec des propriétaires fonciers. Ces sites pourront certainement s’insérer dans une temporalité similaires avec l’appel à manifestions d’intérêt lancé par l’Etat. Ce dernier nous donne des outils : aux acteurs locaux de s’en saisir !
Qui se cache derrière Chutt ? Et comment comptez-vous intervenir ?
R.T. : Nous sommes un collectif de professionnels regroupant urbanistes, architectes, assistants à maîtrise d’ouvrage (AMO), maîtres d’œuvres, etc. Des acteurs engagés dans la fabrique de la ville qui sont à l’écoute des territoires, des usages, des besoins, des concepts, des modes constructifs...
Nous intervenons dans un premier temps aux côtés des collectivités afin de définir des sites, de concevoir des projets en lien avec le territoire dans lequel ils s’inséreront. En collaboration avec les acteurs locaux, nous allons à la rencontre des propriétaires et des exploitants.
Une fois les partenariats scellés, viendra le temps des appels à projets auprès de différents maîtres d’ouvrages. Le collectif accompagnera les collectivités dans la sélection des opérateurs, même si ces derniers restent les seuls décisionnaires.
Un plan pour remettre de l’urbain dans les zones commerciales
Les "boîtes à chaussures" qui maillent les zones commerciales sont souvent despassoires thermiques. Ces dernières vont notamment devoir se conformer au décret tertiaire qui impose de réduire la consommation énergétique de 40 % d'ici à 2030 et de 60 % en 2050.
On en recense aujourd'hui plus de 1 500 dans l’Hexagone, pour 500 millions de m2, gagnés sur des terres agricoles. Ces zones "moches" sont « l'incarnation du XXe siècle », « celui de la consommation de masse, automobile pour tous, le pavillon pour chacun… » Il est désormais temps d' « anticiper leur transformation à l'horizon des soixante prochaines années », a lancé la ministre déléguée chargée des PME, du commerce, de l'artisanat et du tourisme, Olivia Grégoire, en présentant le plan de transformation des zones commerciales, le 11 septembre, à Bercy, aux côtés de Christophe Béchu (Transition écologique et Cohésion des territoires) et Patrice Vergriete (Logement). Ces zones posées en entrées de ville captent aujourd'hui 72 % de la consommation des Français. « Les supprimer ne serait ni faisable ni souhaitable. Il faut donc les réinventer », a insisté la ministre.
« Les zones commerciales ne sont pas un problème, elles constituent une partie de la solution de l'aménagement de demain », lance Olivia Grégoire. Et à l'heure du zéro artificialisation nette (ZAN), « ces espaces déjà artificialisés peuvent devenir des réservoirs de projets », insiste Christophe Béchu.
Un AMI doté de 24 M€ pour l’ingénierie
Pour enclencher ces mutations, le gouvernement lance un appel à manifestation d'intérêt (AMI) doté de 24 M€ dispatchés vers une vingtaine de "projets pilotes". Cette somme servira à financer des études de préfiguration (75 000 euros par projet), de l'accompagnement technique, comme le financement de postes de chef de projet (là encore à hauteur de 75 000 euros), et, parfois, une partie du déficit d'opération commerciale pour quelques territoires en déprise.
Au-delà des financements mis sur la table, une "task force d'Etat" (pilotée conjointement par la Bercy et l'Agence nationale de la cohésion des territoire-ANCT) sera installée pour soutenir les candidats sur le plan juridique et technique. Et le projet de loi Industrie verte, qui doit boucler son parcours législatif cet automne, comporte plusieurs avancées dans ce sens, notamment à travers les grandes opérations d'urbanisme (GOU), qui devraient permettre de raccourcir nettement les délais. Une autre disposition mettra de l’huile dans les rouages en supprimant l’obligation de solliciter une nouvelle autorisation d'exploitation commerciale pour les projets de transformation mêlant du commerce, des services, du logement…
Deux phases
Cet enjeu de régénération figure en toile de fond de la seconde phase du plan de revitalisation des villes moyennes Action cœur de ville (ACV) lancée en février 2023 qui fixe pour nouvelles priorités le traitement des entrées de ville et des quartiers de gare, la renaturation et la sobriété foncière. Dans ce cadre, la Banque des Territoires se propose d'accompagner en ingénierie une trentaine de communes pour travailler sur leurs entrées de ville. Contrairement à ACV, ce nouveau plan ne flèche aucune strate administrative. Des communes centres d’intercommunalités rurales aux métropoles, toutes les collectivités peuvent candidater. Et les crédits seront cumulables avec d'autres aides du Fonds vert (via le Fonds friches), d'Action cœur de ville ou de Petites villes de demain…
Les lauréats seront désignés en deux phases : en novembre 2023 pour les agglomérations qui ont déjà des projets bien avancés et début 2024 pour celles qui doivent peaufiner leurs dossiers. Les préfets sont « invités à recenser partout les zones commerciales qui ont le plus besoin de transformation », a indiqué Christophe Béchu, précisant que la phase de diagnostic devrait être achevée avant le 1er janvier 2024 et les crédits "mobilisables" avant la fin de l'année.