Rénover des trois fenêtres marseillais décatis pour y développer une offre de logement social ? Cette ambition figure au cœur du projet partenarial d’aménagement (PPA) du centre-ville de Marseille, arsenal régénérateur déployé par l’Etat et les collectivités au lendemain du drame de la rue d’Aubagne. Volet social mis à part, la logique rénovatrice charpentait déjà les multiples plans d’éradication de l’habitat indigne (EHI) mis en place avec des succès très relatifs par la Ville de Marseille durant deux décennies avant le 5 novembre 2018.
Marseille : la SPLA-IN au PPA de charge
Désormais doté d’une véritable stratégie et d’un portage politique robuste, ce chantier de longue haleine démarre sous la houlette de la Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN). Cette cure de jouvence devrait concerner dans un premier temps une cinquantaine d’immeubles insalubres, objets d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) lancé auprès des bailleurs sociaux.
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Logirem en première ligne
En marge de ce plan de bataille à grande échelle, l’œuvre rénovatrice est déjà engagée dans le diffus. L’entreprise sociale pour l’habitat (ESH) Logirem (groupe Habitat en Région) vient d’en présenter des premiers jalons avec la visite de plusieurs îlots du cœur de ville entièrement requalifiés par ses soins. La revitalisation de ce bâti en déshérence, parfois inscrit dans une opération d’EHI, permet de mesurer l’ampleur du défi qui attend la SPLA-IN.
Au 62 boulevard Longchamp (1er), protégé par des barrières, un immeuble bourgeois caractéristique de l’architecture marseillaise du XIXe siècle est en travaux. De l’extérieur, difficile d’imaginer l’opération de chirurgie lourde qui se déroule dans les murs. Le chantier piloté par Bouygues Bâtiment Sud-Est a cumulé les défis. Le premier d’ordre purement humain : faire place nette pour permettre l’entrée en action des compagnons. « On a mis en place une Mous [Maîtrise d'œuvre urbaine et sociale, NDLR] pour reloger les locataires qui habitaient là afin de permettre la réalisation des travaux. Pour certains, le relogement s’est effectué dans notre parc et pour d’autres on a trouvé une solution d’hébergement transitoire dans des appart’hôtels », rembobine Fabienne Abecassis, la directrice générale de Logirem.
Une fois le site libéré de ses occupants, l’entreprise et les architectes de l’agence NSL sont allés de surprise en surprise. Ou plutôt de pathologie en pathologie... le malade étant plus gravement atteint que ce que les diagnostiqueurs avaient établi. « Il a fallu procéder au désamiantage du lieu. Ce qui n’était pas prévu au départ. On a ensuite découvert des fissures dans les murs porteurs car le bâti s’était affaissé », déroule Guillaume Allais, directeur adjoint Méditerranée de Bouygues Bâtiment. La toiture fatiguée n’avait pas meilleure mine. Les soucis structurels s’étaient évidemment repercutés sur les planchers. « Ils étaient posés sur des poutres en bois qui s’étaient déchaussées. On dû les remplacer par des poutres en métal », ajoute le dirigeant de Bouygues. Dans les salles de bain, des infiltrations d’eau avaient fragilisé l’ouvrage. L’inventaire des désordres a contraint le bailleur à muscler la posologie du traitement. « Le bâtiment a été complètement mis à nu », résume le cadre de chez Bouygues.
« On n’imaginait pas tout ce qu’il fallait reprendre. In fine, ce qui était au départ un simple projet de réhabilitation s’est transformé en opération de rénovation lourde », souffle Fabienne Abecassis.
Rénovation totale
Cette chirurgie s’est déroulée sous l’œil vigilant de l’architecte des bâtiments de France (ABF). Une attention qui a empêché l’isolation par l’extérieur des façades. « On a opté pour une isolation intérieure, à la fois des combles, des planchers hauts des caves et des façades », précise Guillaume Allais. Portes palières, menuiseries extérieures, éclairage des parties communes, colonnes d’eau, collecteurs d’eau pluviale, réseaux d’eaux usées, salles de bain, réseaux électriques etc. Tout a été changé et mis aux normes contemporaines.
L’amélioration de la performance thermique de l’ensemble a été parachevée par l’installation de chauffe-eaux thermodynamiques. Cette cure de DHEA doit permettre à cette résidence de 23 logements sociaux (PLA) d’atteindre l’étiquette énergétique C+, contribuant à réduire sa consommation énergétique de plus de moitié (- 58 %). Un gain appréciable en ces temps de flambée des prix de l’énergie.

Financements multiples
Le confort de la résidence ne se résume pas au tour de vis sur la facture des charges. Le hall d’entrée, la cage d’escalier et les paliers ont fait peau neuve, avec la pose de nouveaux revêtements. Et les tomettes qui accusaient le poids des ans ont été remplacées à l’identique. Last but not least, le bailleur a investi quelque 100 000 euros pour installer un ascenseur dans cet écrin de cinq étages.
Le devis de ce chantier qui aura collectionné les imprévus et les défis techniques est à la mesure de la difficulté : la facture atteint 2,87 millions d’euros. Soit un prix de 125 000 euros par logement bien supérieur aux coûts habituels d’une réhabilitation classique. Pour assumer la dépense, Logirem a pu compter sur le soutien de France Relance (253 000 €) et du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône (91 960 euros). La Caisse d’épargne Cepac, de son côté, lui a octroyé un prêt d’intermédiation au taux bonifié de 2,3 % sans garantie : « Sans ces aides et ce prêt à un taux qui fait rêver aujourd’hui avec la remontée du Livret A, nous aurions eu du mal à boucler l’opération », reconnaît Fabienne Abecassis.
EHI à la Belle de Mai
A la Belle de Mai (3e), Logirem vient de livrer deux opérations d’acquisition-amélioration aux enjeux similaires à ceux du programme déployé sur le boulevard Longchamp. Seul le décor diffère : les deux immeubles trois fenêtres situés rues Danton (trois logements pour 171 m2) et Barbini (quatre logements pour 190 m2) étaient inscrits dans l’opération d’EHI du quartier. Le bailleur les a acquis auprès d’Urbanis, titulaire de la concession d’aménagement EHI sur ce secteur de la ville de Marseille depuis 2015.
Dans cet ancien faubourg portuaire dont la trame bâtie est constituée d’une enfilade de petits immeubles trois fenêtres (R+2), le défi est autant socio-économique que technique. Dans ce quartier parmi les plus paupérisés du Vieux continent, la misère habite à tous les étages de ces logements dont la dégradation obére le cachet. Squats, marchands de sommeil, taudis... accueillent les exclus du parc HLM et population sans droit ni titre. Dans ce lacis de ruelles, le défi du renouvellement urbain vous saute à la figure. Rares sont les adresses encore habitées par leurs propriétaires. Derrière les portes en bois, l’enfer du parc social se fait dans la mire du PPA.
Chirurgie lourde
Au milieu de ce havre de pauvreté, les deux opérations réalisées par Logirem semblent deux petites oasis. Comme un échantillon de ce qu’était la vie de ce quartier au début du XXe siècle. Avant d’en arriver là, le bailleur a dû sortir le chausse pied et travailler à la petite cuillère. Les biens en état de dégradation avancée ont nécessité une chirurgie lourde. Ici aussi, la mise à nu a été totale : les éléments de structure ont été consolidés, les toitures remplacées, les planchers entièrement refaits à neuf et les façades restaurées, etc. Les niveaux ont été redistribués, avec une remise à neuf totale de l’électricité, de la plomberie, des équipements sanitaires, du cloisonnement et de la peinture.
Enfin, le chauffage et l’eau chaude sanitaire sont désormais produits par des chaudières individuelles gaz dernier cri.

Une facture stratosphérique
Les premiers locataires ont reçu les clefs de ces appartements (du T2 au T4 en duplex) fin février. Ils résidaient auparavant dans des logements sociaux démolis sur l’autel de la rénovation urbaine à la sauce Anru (Agence nationale pour la rénovation urbaine). La facture de cette cure de jouvence donne le vertige : elle se monte à 1,86 million d’euros HT pour les deux adresses. A raison de respectivement trois (Danton) et quatre (Barbini) logements, le prix de revient atteint 308 000 et 236 000 euros HT par logement. Traduits en coût au mètre carré, les chiffres sont encore plus impressionnants : pour la rue Danton (171 m2), le prix moyen se monte à 5 400 euros/mètre carré ; pour la rue Barbini (190 m2), c’est légèrement moins : 4 968 euros/mètre carré.
Des niveaux stratosphériques, supérieurs à ceux du neuf. Et carrément à des années lumière des coûts de production du logement conventionné...
Trente-cinq logements remis à neuf rue Mazenod et Bd National
Logirem a également confié à l’agence NSL architectes et Bouygues Bâtiment Sud-Est deux autres opérations de rénovation lourde dans l’hypercentre de Marseille. La première située au 48 rue Mazenod (2e), dans le quartier de la Joliette, concerne un immeuble XIXe en R+5. Après de gros travaux de réhabilitation, cet écrin para-haussmannien proposera cet été 11 logements (six T1 et cinq T5) et un commerce en rez-de-chaussée. Le chantier représente un devis tout aussi pharaonique que ses homologues : 1,89 million d’euros HT, soit un prix moyen de 172 000 euros par logement.
La dernière opération a pour décor le 125 boulevard National (3e). Cet immeuble de 24 logements (T1 au T5) des années 1980 inscrit en QPV (Quartier prioritaire de la ville) a droit à un sérieux lifting. Cette fois, la facture se monte à 1,98 millions d’euros, soit un tarif moyen de 83 000 euros par appartement.