Douze mois, un changement d’élu à l’urbanisme et une menace de constat de carence plus tard, la Ville de Marseille organisait ce mardi 7 novembre la deuxième édition de ses "Rendez-vous annuels du logement". Un événement moins solennel que le premier, aucun ministre n’ayant cette fois effectué le déplacement, pas même la régionale de l’étape, la secrétaire d’Etat chargée de la Ville et du plan "Marseille en grand"Sabrina Agresti-Roubache, contrairement à Olivier Klein, l’ex-ministre délégué au logement qui avait participé à la seconde journée des Etats généraux du logement "saison 1" le 29 novembre 2022.
Alors que Benoît Payan, le maire de Marseille, avait souhaité braquer les feux sur la lutte contre les marchands de sommeil, en exposant la proposition de loi visant à pénaliser « ces criminels qui s’enrichissent sur le dos des plus pauvres » dont il avait dévoilé les grandes lignes dans une tribune parue dans Le Monde deux jours plus tôt, ce rendez-vous avait pour la plupart des acteurs de la chaîne de l’habitat présents dans l’espace Bargemon la forme d’un bilan d’étape. Un point d’ensemble permettant de vérifier la mise en œuvre des 34 engagements paraphés par les élus locaux (Ville de Marseille et Métropole Aix-Marseille Provence) et l’Etat un an plus tôt.
Une relation Ville/Métropole en question
Hormis la lucidité sur le constat d’une crise du logement dont les ressorts macroéconomiques ont aggravé les effets, peu d’avancées concrètes ont finalement été relevées. Et pour cause : la politique du logement n’est pas une compétence municipale comme l’ont rappelé le maire et son adjoint au logement, Patrick Amico. Toute réforme ou mise en place de dispositifs passe par un partenariat entre une myriade d’acteurs aux logiques et temporalités différentes (Etat, Anru, Anah, Métropole, SPLA-IN, EPF, etc.).
Dans cet écheveau souvent inextricable, la relation entre la ville centre et la Métropole, titulaire de la compétence logement, est un rouage essentiel. Permis de louer, seuil de mixité sociale dans le Plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI), Programme local de l’habitat (PLH), pilotage de la Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN), Nouveau Programme national de renouvellement urbain (NPNRU), etc.
La Métropole tient les principaux leviers d’action
Les leviers de commande de ces outils, qui ont un impact direct sur la vie quotidienne des habitants, des mal-logés et des sans-abri, sont situés dans le poste de pilotage de la tour La Marseillaise, siège de la Métropole dont la présidente Martine Vassal brillait une fois de plus par son absence. Comme l’an dernier, l’élue phocéenne était représentée par David Ytier, son vice-président en charge de la politique de l’habitat et de l’habitat indigne.
A l’instar de la municipalité, ce dernier, qui a reçu un hommage appuyé de Benoît Payan, serait lui aussi « victime des guerres politiques picrocholines qui nous empêchent d’avancer » selon le maire. Les fameuses chicayas pointées en son temps par Emmanuel Macron qui agacent l’édile phocéen. Lors d’un point-presse, ce dernier a avoué « en avoir marre de ces batailles politiciennes », appelant chacun « à laisser les postures de côté ». Avant d’adresser un scud à Martine Vassal en lui reprochant « de ne pas faire du logement sa priorité ». Le chaud pour Ytier, le froid pour Vassal, héritière d’une droite marseillaise qui porte le fardeau symbolique du drame de la rue d’Aubagne.
Trois ans après les scrutins municipaux et métropolitains, les tensions marseillo-marseillaises continuent de polluer l’avancée des dossiers. Tels les projets de renouvellement urbain dont la présidente de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), Catherine Vautrin, avait pointé les retards à l’allumage quinze jours plus tôt lors de l’inauguration du nouveau siège régional d’Action Logement.
Pour le maire, « le moment est venu de poser la question des rapports entre la Ville et la Métropole. Parce que pour affronter cette crise du logement, cette hydre à mille têtes, ce fléau qui nous attaque sur tous les fronts, il nous faut réfléchir à une autre manière d’agir ensemble. »
Changer la règle ne suffit pas…
Cet appel à un changement de méthode et/ou de gouvernance n’a pas reçu un écho très fort chez les deux principaux partenaires institutionnels. Pour la Métropole et l’Etat, l’enjeu prioritaire ne se résume pas à une addition de mesures réglementaires et techniques dont la mise en place prend parfois énormément de temps. Selon David Ytier, « la régulation du marché locatif, l’empilement de règles ou les mesures d’encadrement ne peuvent pas tout régler […] Même en stoppant la spirale du AirBnb ou en traquant les marchands de sommeil, et vous nous trouverez toujours à vos côtés sur ces combats, vous ne résoudrez pas la crise qui s’amplifie. »
Pour l’élu salonnais, « il faut s’attaquer aux causes de la crise et non pas seulement à ses conséquences ». Et les racines du problème, c’est la pénurie de logements qui constitue « la mère nourricière des marchands de sommeil ».
« Seule la relance de la production sur l’ensemble du territoire métropolitain permettra d’endiguer sérieusement la crise, y compris à Marseille pour sa juste part. Cette relance est une nécessité, une obligation pour permettre un logement digne pour tous nos concitoyens. »
Une production en chute libre
Ce déficit de l’offre, le préfet délégué pour l’égalité des chances, Michaël Sibilleau, en a dessiné l’ampleur. « En cinq ans, la production de logements dans les Bouches-du-Rhône s’est rabougrie, passant de 14 000 en 2018 à 10 000 en 2022. » Parallèlement, le nombre de demandes de logements sociaux s’est allongé comme un jour sans fin, passant de 80 000 à 100 000. « On recense huit demandes insatisfaites pour une attribution », a souligné le représentant de l’Etat.
Même hypertension sur le Droit au logement opposable (Dalo) : le nombre de dossiers de ménages éligibles au Dalo a été multiplié par deux en quinze ans, « de 2 000 en l’an 2000 à plus de 4 000 en 2015 ». Et les délais de relogement s’allongent eux aussi : « Ils sont aujourd’hui de 345 jours en moyenne », soit près d’un an pour que le droit au logement soit effectivement mis en œuvre.
Pour desserrer l’étau, « il faut maîtriser le foncier », une démarche volontariste qui figure en toile de fond du PLH métropolitain qui n’attend plus que le sésame de l’Etat pour être officiellement promulgué.
« Avec un objectif de 4 500 logements, Marseille doit représenter près de 40 % de la production annuelle de la métropole. Un objectif ambitieux qui devra être concrétisé », a martelé Michaël Sibilleau.
Selon le préfet, « l’Etat sera attentif à l’élaboration d’un contrat de mixité sociale » qu’appelle de ses vœux l’adjoint au logement, Patrick Amico. Mais « ce contrat devra être ambitieux, crédible et opérationnel pour une relance dynamique de la production ».
Même appel à la mobilisation pour les projets marseillais du NPNRU : alors que s’ouvre enfin la concertation publique pour l’ensemble des quartiers dont les conventions avec l’Anru ont déjà été signées (La Castellane, La Bricarde, Corot et Air-Bel), « les projets doivent être rapidement initiés pour que les 650 millions de crédits mis sur la table par l’Etat dans le cadre du plan "Marseille en grand" soient consommés », a insisté le préfet délégué.
Orcod-IN en préparation
Sur le front des copropriétés dégradées, le chantier s’annonce lui aussi herculéen. L’Opération de requalification des copropriétés dégradées d’intérêt national (Orcod-IN) instiguée par le président de la République lors de son déplacement à Marseille fin juin 2023 est en cours de montage. Un rapport de faisabilité de l’Inspection générale de l’environnement et du développement durable (Igedd) a été remis au ministre, puis aux collectivités en juin 2023. Ce rapport esquisse une stratégie d’intervention différenciée, avec la mise en place d’un Programme d’intervention d’intérêt national sur 13 ensembles immobiliers du territoire métropolitain (dont 10 à Marseille).
Ce travail exploratoire, confié à l’Etablissement public foncier Provence-Alpes-Côte d’Azur (EPF Paca), intègre le lancement de quatre études de préfiguration d’Orcod-IN sur cinq sites présentant unbesoin d’investissement public exceptionnel et une mobilisation massive de l’Etat dans ses prérogatives : Bel Horizon I et II, Les Rosiers/Super Belvédère, La Maurelette, Consolat et l’ensemble immobilier du Mail (Grand Mail, Mail G, Gardian). « Un premier rapport sera publié fin 2023, qui permettra d’identifier les sites prioritaires, le mode de gouvernance et les moyens en vue de mettre en place cette Orcod en 2024 », a précisé le représentant de l’Etat.
Là encore, la question de la production revient en pleine lumière « car pour engager les chantiers de chirurgie lourde des copropriétés, il faudra reloger les résidents », a rappelé David Ytier. Un défi quand le parc social est plein comme un œuf. Et cette saturation n’est pas le fait des marchands de sommeil. Au contraire. Elle en forme le terreau sur lequel ces "criminels" fabriquent leur beurre rance.
Le projet du 63/67 rue d’Aubagne choisi au début 2024
La dent creuse des 63, 65 et 67 de la rue d’Aubagne, théâtre tragique de l’effondrement des immeubles le 5 novembre 2018, accueillera un lieu ressources ancré dans le quartier et ouvert à tous. Dans ce but, la Ville avait lancé un appel à projets. « Le 24 octobre, un jury d’une dizaine de membres composé d’élus, des familles des victimes, de représentants d’associations ayant participé à la contribution citoyenne et des habitants de la rue d’Aubagne a retenu cinq équipes d’architectes et paysagistes amenées à concourir dans les prochaines semaines. Le projet lauréat sera désigné au premier trimestre 2024, pour ouvrir ses portes en 2025 », a annoncé Sophie Camard, maire du 1er secteur.
Renforcer l’arsenal pénal contre les marchands de sommeil
C’est le sujet qui polarise l’attention de Benoît Payan : la lutte contre les marchands de sommeil. « Pour que ces criminels ne dorment plus la nuit », le maire de Marseille a sorti du chapeau une proposition de loi tendant à renforcer « la pénalisation d’un délit qui ne figure pas dans le Code pénal », comme l’a souligné Guillaume Bricier, vice-procureur de Marseille.
Dans les faits, la mairie, en étroite collaboration avec les services du procureur et les associations locales, a engagé une lutte qui n’est pas sans rappeler celle du pot de terre contre le pot de fer. Face aux difficultés pour repérer les marchands de sommeil, il s’agit de faire jouer à plein l’article 40 du Code de procédure pénale qui permet à une commune de signaler au procureur les situations qu’elle détecte. Toutefois, l’environnement juridique, la charge de la preuve et l’absence de définition juridique applicable aux marchands de sommeil soulèvent quotidiennement des problématiques de mise en œuvre effective du droit, ont insisté les différents intervenants présents en tribune.
Jusqu’à dix ans de prison et 500 000 euros d’amende
Cette problématique figure en toile de fond de la vingtaine de préconisations du rapport Hanotin-Lutz, remis le 23 octobre 2023 au ministre du Logement Patrice Vergriete. Ce rapport propose notamment trois évolutions : doter les inspecteurs de salubrité et les agents de police municipale des pouvoirs d’enquête judiciaire en matière d’habitat indigne ; faciliter la saisie des lots des propriétaires indélicats en impayés et instaurer un régime de substitution de la collectivité à l’engagement des procédures de saisie en cas d’inaction du syndic ; renforcer la lutte contre les divisions pavillonnaires illicites en améliorant les dispositions du "permis de diviser" et en harmonisant les procédures habitat et droit des sols.
Le maire de Marseille va plus loin en proposant de renforcer l’arsenal répressif en portant les peines jusqu’à dix ans de prison et 500 000 € d’amende. Il souhaite également « que soit créé un fichier national des marchands de sommeil, accessible aux collectivités, aux institutions judiciaires, aux professionnels, pour que toute personne condamnée ne puisse plus acquérir de logement et poursuivre ses affaires criminelles ».