Et les piscines ? A l’issue d’une visite de trois jours à Marseille, les annonces faites par Emmanuel Macron donnent le tournis. Sécurité, écoles, habitat, santé, numérique, port, industrie... Dans cet inventaire aussi hétéroclite qu’une liste de courses à l’hypermarché, les piscines sont les grandes oubliées. Le président de la République n’a pas dit un mot de ces équipements qui manquent pourtant dans les quartiers nord. Un oubli sans doute... qu’il aura certainement l’occasion de réparer lors de sa prochaine visite pour présenter la nouvelle mouture certainement galactique de son plan "Marseille en Grand" survitaminé "en très grand" cette fois.
Des millions comme s’il en pleuvait...
Au fil de trois journées intenses qui l’ont amené de la Busserine, cité des quartiers nord, épicentre d’un programme de renouvellement urbain engagé depuis plus d’une décennie, aux bassins du port, que ses dirigeants, Christophe Castaner en tête, rêvent d’ériger en vitrine de la transition écologique, le chef de l’Etat a multiplié les annonces sonnantes et trébuchantes.
Prenez votre souffle : 250 millions de subventions supplémentaires pour le plan transport de la métropole Aix-Marseille Provence, soit un doublement de l’aide annoncée en 2021, une rallonge de 240 millions pour l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM), 300 millions pour la reconstruction à Sainte-Marthe de l’hôpital Laveran (hôpital d’instruction des armées), 150 millions pour l’électrification des quais du port, etc. Les millions ont coulé à flot, donnant à cette visite un petit air de revival marseillais du "quoi qu’il en coûte" post covid.
Un arsenal pour les copropriétés dégradées
Attendu sur le front du logement, au sortir des annonces du conseil national de la refondation qui avaient laissé sur leur faim les acteurs de l’habitat, Emmanuel Macron n’avait plus de millions dans son chéquier. L’unique enveloppe dévoilée -800 000 euros- aura semblé bien maigrelette. Il faut dire qu’elle n’est pas destinée à faire couler du béton mais à financer les études visant la mise en place à titre dérogatoire de quatre opérations de requalification des copropriétés dégradées d'intérêt national (Orcod-In).
Des dispositifs dont le maire de Marseille Benoît Payan avait appelé de ses vœux la mise en place lors des états généraux du logement, fin novembre 2022. Déjà mise en œuvre à Nîmes et à Clichy-sous-Bois, la ville dont le maire fut un certain Olivier Klein, ces quatre Orcod-In devraient concerner des copros en grande souffrance toutes situées dans les quartiers nord, mais restées hors des radars de l’Anru : La Maurelette (746 logements), Mail-Grand Mail-Gardian (580 logements), Les Rosiers (près de 1 000 logements) et Consolat (396 logements). Ces ensembles rejoindront les cinq autres inscrits dès le mois de septembre 2018, quelques semaines avant le drame de la rue d’Aubagne, dans le grand plan national "Initiative Copropiétés" (PIC) : le parc Kallisté (753 logements), le Parc Corot (697 logements) et la cité Bellevue (444 logements) dans les quartiers nord inscrits en "QPV" (quartier prioritaire de la politique de la ville), ainsi que deux copros situées dans le périmètre de l’opération d’intérêt national Euroméditerranée : la copropriété Bel Horizon (133 logements) et un ensemble qui agrège la cité Maison Blanche (236 logements) et une centaine de logements de petites copropriétés disséminées dans le secteur Hoche-Versailles (3e).
En 2018, déjà...
Preuve de la difficulté de la tâche, un peu moins de cinq ans après le lancement du PIC, le chef de l’Etat a annoncé la mise en orbite d’un plan initiative copropriétés "Marseille en grand". Ce PIC spécial Marseille ciblera treize grands ensembles, notamment ceux déjà inscrits depuis 2018 dans le plan national lancé par Julien Denormandie, à Marseille, lors du congrès de l’Union sociale pour l’habitat (USH). Cet énième plan estampillé du label XXL bénéficiera « de moyens renforcés avec l’établissement public foncier, en lien avec les collectivités et les acteurs du logement », indique le communiqué de l’Elysée.
Des opérations de (très) longue haleine
Cette question des moyens s’avère cruciale car la maîtrise foncière publique est indispensable pour redresser les copropriétés. Or, prendre pied dans les conseils syndicaux et amorcer un redressement des copros se révèle aussi lent et délicat que faire virer de bord un porte conteneurs. La mission qui implique moyens, technique immobilière et une bonne dose d’expertise juridique s’inscrit sur le long terme. Symbole de cette complexité : le parc Bellevue est ainsi le décor de trois plans de sauvegarde en 1999, 2007 et 2022. En dépit des travaux de chirurgie lourde réalisés qui ont abouti à une scission de cette copropriété qui comptait près d’un millier de logements à l’origine, le chantier est loin d’être achevé. Un quart de siècle après le début du traitement, l’attention est désormais focalisée sur le bâtiment D, une barre de 5 étages qui réunit 118 logements dans une même et unique copropriété. Des appartements insalubres pour la plupart, où vivent des ménages locataires en situation précarité extrême... proies de propriétaires véreux ou impécunieux.
29 copropriétés à traiter selon la Ville de Marseille
Cette myriade de dispositifs qu’ils soient dérogatoires ou de droit commun suscite un certain scepticisme. Dans un communiqué publié au soir du 27 juin, la Ville de Marseille estime que 29 copropriétés devraient pouvoir bénéficier d’un dispositif d’exception soit 9 380 logements. Un chiffre bien supérieur à celui annoncé par la deuxième saison du plan Marseille en grand.
Quelle gouvernance ?
Au-delà des moyens, vient l’équation de la gouvernance. Pour être efficace dans des sujets aussi alambiqués, l’action publique nécessite une mobilisation sans faille de l’Etat et des collectivités locales. Un engagement (joué ?) collectif qui a, jusqu’à présent, été le grand refoulé de la culture politique locale... La cause de l’habitat dégradé réussira-t-elle à faire taire les chicayas ? Pour qui suit attentivement l’avancement tortueux des projets de renouvellement urbain dans Marseille, le doute est permis.
Le relogement, autre chantier clef
Dernier point névralgique : le relogement. Engager des opérations de chirurgie lourde dans des grands ensembles d’habitation nécessite de reloger les habitants. Or, Marseille manque cruellement de logements. Sauf dans les cités gangrénées par les trafics, le parc HLM est plein comme un œuf. Et le parc locatif privé se rabougrit, comprimé par l’entrée en vigueur du nouveau diagnostic de performance énergétique (DPE) qui exclut du marché les logements les plus énergivores (étiquettes F et G). Sans solution de relogement, difficile d’envisager des travaux de démolition-reconstruction. A moins de construire plus de logements. Mais les chiffres montrent un effondrement de la construction. Avec la zéro artificialisation nette (Zan) en ligne de mire, les grues vont devoir se frayer un chemin au milieu du tissu bâti. Une navigation citadine à haut risques : financiers, techniques et... politiques !
Une loi contre les marchands de sommeil
Le président de la République a également donné satisfaction à la ville en annonçant une loi renforçant les sanctions contre les marchands de sommeil. Ce texte visera à « davantage aider toutes celles et ceux qui vivent dans les taudis, à accélérer les travaux d’urgence dans les meilleurs délais et accélérer les délais d’étude ». Cette loi « permettra également de pouvoir exproprier plus facilement, à la main d’administrateurs judiciaires ad hoc les mauvais payeurs et les marchands de sommeil ».
Une cité radieuse dans les quartiers nord ?
C’est une autre annonce qui aura laissé un brin pantois : dans son discours prononcé au Mucem devant un parterre d’élus et de représentants de la société civile, mardi soir, Emmanuel Macron a fait part de son souhait de voir émerger dix grands quartiers d'architecture contemporaine, afin d’ « inventer une nouvelle cité radieuse dans les quartiers nord ». Alors que sur l’autel de la rénovation urbaine les bailleurs sociaux démolissent à grand frais les barres de béton, symboles de l’urbanisme intensif des années 50/70, imaginer créer une belle barre de 15 étages sur 120 mètres de long a tout du pied de nez. Nonobstant la densité vantée par le Zan, on a un peu de mal à percevoir le caractère "radieux" du projet. Même esquissé par « les meilleurs architectes internationaux » comme en rêve le président. Car, dans l’imaginaire de nombre de politiques, l’excellence en architecture s’affranchit des frontières.
L’Orcod-In au défi des moyens
Avec l’Orcod-In, la loi Alur (pour l’accès au logement et un urbanisme rénové) a introduit en 2014 la possibilité pour l’État et les collectivités territoriales de venir au chevet des copropriétés en très grandes difficultés qu’aucun plan de sauvegarde antérieur n’a pu redresser.
Les copropriétés dites du "Chêne Pointu" et de "l’Étoile du Chêne Pointu", situées à Clichy-Sous-Bois (Seine-Saint-Denis) et la copropriété dite "Grigny 2", à Grigny (Essonne) ont été les premières à bénéficier de ce dispositif.
L’opération vise en effet principalement à acquérir et "porter" (en assurer la gestion) des lots de copropriétés dégradées. L’objectif affiché est d’épurer toutes les dettes et de réaliser les travaux de mise aux normes avant revente.
L’Orcod-In permet également de financer les travaux d’urgence sur le bâti, d’intervenir sur les équipements publics et les aménagements urbains avec la mobilisation de financements de l’Anru, et de lutter contre l’habitat indigne en mobilisant les outils coercitifs contre les marchands de sommeil.
Sa mise en œuvre a été jusqu’ici assurée par les Établissements Publics Fonciers (EPF), qui assurent le rachat des logements (amiable, préemption, saisies ventes aux enchères…), financée par la taxe spéciale d’équipement (TSE), la taxe qui alimente le budget des EPF. A ce jour, l’EPF de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur refuse d’augmenter le montant de la TSE pour financer une Orcod, considérant que l’intervention sur une copropriété dégradée marseillaise ne relève pas d’une mutualisation à l’échelle régionale. Lors de son conseil d’administration qui s’est tenu ce 27 juin, l’EPF a maintenu cette opposition.
Les élus locaux refusant d’actionner le levier fiscal, l’Etat devra donc se résoudre à mettre la main au portefeuille en octroyant une subvention à l’établissement. Une aide indispensable pour que les belles annonces cachées derrières les acronymes se traduisent enfin dans les faits.