Delphine et Laetitia, deux artistes du collectif Bolnaudak, multiplient les ateliers avec les enfants du quartier de l’Alicante et des Plantiers, dans la maison du projet installée à deux pas des bâtiments qui devraient être démolis prochainement dans le cadre du renouvellement urbain de l’Arc Sud, à Manosque. L’objectif de cette semaine : terminer le montage d’une gazette. « Avec les enfants nous fabriquons du souvenir et avec les adultes nous tentons de collecter la mémoire. Concrètement nous mettons à disposition de tous des outils artistiques. Mais tous ne s’en saisissent pas de la même manière. Beaucoup d’habitants n’ont pas d’autre attente que d’être relogés », confie Delphine Bole qui travaille depuis septembre 2021 à créer du lien avec les habitants du quartier.
Un travail complexe à cheval entre l’action sociale, l’animation et l’art. « En général, le contact est plus simple avec les enfants, nous organisons des ateliers et le courant passe rapidement », explique-t-elle. Pour les adultes il a fallu montrer patte blanche. « Nous avons fait du porte à porte, nous avons distribué des cartes personnalisées que nous avons déposé en main propre à chacun d’eux ». Les deux artistes habitent même dans le quartier une semaine par mois. « Habitations Haute-Provence met à notre disposition un logement dans l’un des bâtiments qui doit être détruit. Cela nous permet de créer du lien direct avec les habitants. Nous vivons à leur côté. Nous ressentons pleinement le quartier. Le lien est organique », explique Laetitia Sadak qui poursuit : « Les enfants et les locataires sont plutôt contents de quitter le quartier mais le plus difficile c’est pour les propriétaires et pour les anciens qui, même s’ils n’ont que peu d’archives, de souvenirs matériels, comme des photos, ressentent un véritable déracinement ».
Habitations Haute-Provence veut bâtir 750 logements sur les dix prochaines années
Accompagner l’expropriation
Alors que les relogements ont démarré à l’été 2022 et à quelques mois des premières opérations de démolition, prévues dès 2024, certains habitants propriétaires refusent encore de quitter leurs logements. Et pourtant un bâtiment du bailleur social Habitations Haute-Provence (H2P) comptant 19 logements et deux bâtiments et près de 70 habitations vont bien disparaître prochainement pour créer un espace public de 4 600 m2 entre le boulevard Pompidou et le Riou de Drouille, à Manosque. Près de 80 foyers seront donc impactés.
Une réalité que le collectif d’artistes s’échine à rendre moins traumatisante avec le projet Mémoire(s) en mouvement. Un projet ambitieux mêlant médiation sociale et artistique qui a pu voir le jour grâce à la rencontre entre Chantal Davin, responsable du pôle innovation sociale chez H2P et le collectif marseillo-ardéchois Bolnaudak : « C'est parce que nous avions mené en septembre 2021 le projet "Cet amour-là" aux Plantiers en partenariat avec H2P, que Chantal nous a mis en contact avec Marie et Karin de la Politique de la ville. » Une initiative qui a largement dépassé le cadre imaginé à l’origine puisqu’aujourd’hui il bénéficie à l’ensemble des habitants de ce quartier, y compris aux habitants de la copropriété Alicante, qui n’appartient pas au bailleur social.
(Crédit : Hélène Saveuse)
Un collectif d’artistes comme émancipateur artistique
« Les deux maisons dans lesquelles j’ai vécu dans l’enfance ont été détruites. L’une d’elles a été transformée en gymnase. Et le plus difficile c’est de ne pas avoir de photos et de souvenirs matériels auquel me raccrocher », confie Delphine Bole.
« C’est pour cela qu’avec le collectif nous essayons de créer des éléments mémoriels. »
Si elle est consciente que l’objet artistique qui émergera de cette expérience ne consolera pas tous les chagrins, elle compte cependant sur l’effet libératoire de la parole, de l’expression sous toutes ses formes. « L’animation artistique que nous proposons aura, nous l’espérons, un rôle d’émancipateur artistique », souligne Delphine Bole. Concrètement, la finalité de tous ces ateliers devrait être la création fin décembre 2023 d’un musée éphémère dans l’un des appartements voués à la démolition. « Le projet est en perpétuelle mutation sur la forme mais sur le fond nous travaillons à la fabrication de ce musée éphémère où se mêlera théâtre/capsule sonore/photos », détaille Laetitia Sadak .
Si les deux artistes savent pertinemment que la première attente des habitants est d’être relogés avec l’aide de Soliha Provence, elles multiplient néanmoins les animations artistiques en direction de tous les habitants du quartier pour leur donner la parole. Un travail qu’elles mènent en synergie avec les médiateurs sociaux d’H2P, de Durance Luberon Verdon Agglomération (DLVAgglo), de la Ville de Manosque et des différentes associations de quartiers.
