Le portail laisse entrevoir un jardin en friche. Dans le quartier de la Colline, à Château-Arnoux-Saint-Auban, le temps semble s’être arrêté. L’une des dernières maisons à portique axial BCC 8X8, construites en 1942 par l’ingénieur Jean Prouvé et l’architecte Pierre Jeanneret, est restée intacte. Imaginée comme un habitat temporaire pour accueillir les ingénieurs de l’usine "Compagnie des produits chimique d’Alais et de la Camargue" et leurs familles venus de l’Est en pleine seconde guerre mondiale, la maison démontable réalisée en bois résiste aux affres du temps.
Mais pour combien de temps encore ? « Ces pavillons n’étaient pas construits pour durer dans le temps. Une partie d’entre eux ont été démolis comme de vulgaires cabanons avant que l’ingénieur en charge du patrimoine pour l’usine se rende compte de l’intérêt patrimonial de ses habitations », explique Raymond Ganzoin, bénévole pour l’association de préservation "Jean Prouvé et le site de Saint-Auban-sur-Durance".
C’est la visite de Hollandais souhaitant acheter l’une des maisons pour la remonter dans leur pays d’origine qui met la puce à l’oreille de l’ingénieur en charge de la gestion du patrimoine. « Avant cela personne ici ne s’imaginait vivre dans un site patrimonial prestigieux », explique Serge Venet, président de l’association locale, également heureux propriétaire d’une maison signée Jean Prouvé et frère de l’artiste plasticien conceptuel Bernar Venet. « A Saint-Auban, une trentaine de maisons démontables ont été érigées dans les années 40, à l’image d’un petit lotissement. Aujourd’hui il n’en reste plus que 4. Plusieurs modèles existaient. Les maisons des ingénieurs étaient différentes de celles des ouvriers. Le métal étant réservé à l’effort de guerre, Jean Prouvé et Pierre Jeanneret ont dû imaginer leurs constructions en bois », ajoute Raymond Ganzouin.
Les premières structures à portique axial
A l’intérieur du pavillon de 64 m2, conçu pour accueillir une famille de quatre personnes, le bois est omniprésent. Dès les premiers pas, la magie opère. Les fenêtres sont à guillotine, les volets coulissants, l’aménagement est pratique, original, confortable, l’espace est optimisé et modulable. Les trois chambres sont distribuées autour d'un séjour, d'une cuisine et de sanitaires. Dans la pièce principale trône le compas en bois qui maintient une poutre faîtière sur laquelle sont articulés les deux pans de toiture. « On voit bien que cette construction est l’ancêtre des constructions en L », évoque l’architecte Marie-Christine Giacomoni venue assister à la visite récemment organisée par l’Association.
A Château-Arnoux -Saint-Auban, le binôme Prouvé-Jeanneret a expérimenté le principe de la structure à portique axial dont il déposera le brevet en 1945. Un module cubique de 8 mètres de côté dont les mensurations étaient induites par la dimension de la grande-plieuse dont ils disposaient dans leur atelier pour usiner les feuilles de tôle en acier. Les "chalets", comme les nomment les habitants de la cité ouvrière provençale, sont construitssur des piliers maçonnés qui forment un soubassement. Les façades sont composées de panneaux de bois de 2 mètres de largeur, avec des planches disposées en chevrons, emboîtés dans des poutres de rives.
« Sur le principe, le pavillon devait être constructible par 4 personnes seulement et sans appareil de levage », ajoute Raymond Ganzoin. Un modèle de légèreté et d’économie de matériaux qui pourrait bien inspirer les architectes aujourd’hui. « Ces pavillons ne pèsent que 200 kg au mètre carré quand nos constructions actuelles pèsent une tonne », plaide Raymond Ganzoin. « Le modèle constructif de ces maisons est incroyablement moderne et inspirant », souligne l’architecte Christiane Mars.
Un prototype de sobriété à préserver
A l’heure où les maîtres d’œuvre sont invités à s’acheminer vers un système constructif sobre, les maisons imaginées par Jean Prouvé et Pierre Jeanneret tiennent lieu de référence. Des modèles à conserver, comme l’a bien compris la commune de Château-Arnoux-Saint-Auban qui vient d’en acquérir une, pour la préserver. « Il était important pour le Conseil municipal nouvellement élu, d’acquérir ce patrimoine qui s’inscrit dans l’histoire de la commune » souligne René Villard, le maire de la commune. Classée à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 2002, cette maison devrait bientôt faire l’objet d’une restauration.
L’association et la commune espèrent obtenir son classement aux monuments historiques pour qu’enfin les travaux de rénovation soient entrepris. La maison Prouvé-Jeanneret pourrait à l’avenir devenir une salle d’exposition mais la municipalité ne s’interdit rien, « sa réflexion peut évoluer en fonction des propositions qui pourraient lui être soumises » . Pour le moment, l’objectif de la commune est d’en faire un lieu accessible au plus grand nombre.